Le hasard et la nécessité
Il faut bien que l'Homme enfin se réveille de son rêve millénaire pour découvrir sa totale solitude, son étrangeté radicale. Il sait maintenant que, comme un Tzigane, il est en marge de l'univers où il doit vivre. Univers sourd à sa musique, indifférent à ses espoirs comme à ses souffrances ou à ses crimes.
Mais alors qui définit le crime? Qui dit le bien et le mal? Tous
les systèmes traditionnels mettaient l'éthique et les valeurs hors de la portée
de l'Homme. Les valeurs ne lui appartenainent pas: elles s'imposaient et c'est
lui qui leur appartenait. Il sait maintenant qu'elles sont à lui seul, et d'en
être enfin le maître il lui semble qu'elles se dissolvent dans le vide
indifférent de l'univers.
-Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Le Seuil,
1970.