Pratique journalistique et égarement du concept de vérité

            L’honnêteté représente une valeur à la base du code de déontologie du journalisme, et ce, à travers l’occident. Marc- François Bernier relève, dans l’ouvrage Éthique et déontologie du journalisme, l’importance de cette règle dans l’ensemble des codes journalistiques de différents pays. L’Angleterre, la Pologne, l’Allemagne, la Finlande sont autant de pays qui rejettent toute méthode malhonnête. A ce sujet il est intéressant de constater qu’aux États-Unis, les codes révèlent des « énoncés plus ou moins précis »[1], quant à la rigueur demandée aux journalistes sur le plan de la vérité. 

Si l’honnêteté consiste en la valeur première du journaliste, alors pourquoi le trucage et l’invention sont t-ils récurrents dans les médias occidentaux ? 

            Il s’agit d’un égarement du concept de vérité, celui-là étroitement lié à l’idéal d’une société, c’est à dire, la finalité vers laquelle tend une collectivité.  Cette « vérité », ce « dieu », cet « absolu », évoluant selon les époques et les types de civilisations,  a été dérobé à la spiritualité d’autrefois pour prendre la forme bien ingrate de ce que l’on appelle aujourd’hui néolibéralisme.  

Le modèle de société actuel, fondé sur des principes de production, de consommation et de profit, constitue une organisation si bien rodée et si complexe, que les idéaux qu’elle sous- tend s’infiltrent à même le tissus social, à même l’entendement culturel. Aujourd’hui, donc, toutes les activités humaines sont subséquentes à cet ordre mondial, partie intégrante de l’inconscient collectif.  Les médias ne sont pas à l’abri des impératifs et des valeurs que génèrent les lois de l’économie de marché. Jean-

Claude Guillebaud, président de Reporters Sans Frontière, parvient à cette constatation : « Nous arrivons, de dérive en dérive, à un système où serait tenue pour vraie une information qui trouve un marché, et pour fausse une vérité qui ne trouve pas de marché. »[2]  Dans cette optique de contrôle imminent de l’information par l’entité économique, l’image, le direct et la course à l’audimat ne sont que des conséquences de cette prédominance des lois du marché sur le contenu médiatique. Dès lors que le journalisme devient une marchandise, il perd sa raison d’être, niant son objectivité et son rôle social. Jean- Claude Guillebaud perçoit ainsi la dérive du journalisme : « L’information, puisqu’elle doit tenir son rang face à l’audimat, a été amenée à intégrer progressivement les recettes, les ficelles, les procédés qui sont ceux de la fiction ou des variétés. »[3] 

Ainsi des « drames internationaux » sont relégués aux oubliettes sous prétexte qu’ils ne se vendront pas, tandis que des nouvelles de pacotilles se retrouvent à la tête des priorités. Le marché s’insinue donc non seulement dans la hiérarchie de l’information, mais tend à inventer « une vérité à sa convenance », une vérité qui rapporte.

Et si le réel est partiellement ignoré par les journalistes, qui donc nous en informera ?

 Elise Prioleau