Le terme mondialisation représente une entité si vaste et abstraite, qu’il est difficile de prime abord d’en saisir les rouages et la portée exacte. Ce phénomène dont le précepte est l’économie de marché, domine l’époque actuelle dite post-moderne. Pourtant, cette tendance ne date pas d’hier, elle résulte de la transformation des moyens de production occidentaux et de la montée de l’économie de marché capitaliste, rendus possible grâce à la création des premiers systèmes de communications mondiaux. Tous les domaines de la société subissent quotidiennement les conséquences de cette idéologie économique de rassemblement, d’unité, de globalisation. L’étude de la mondialisation constitue un moyen de comprendre ce qu’il advient de notre monde, pour mieux concevoir des alternatives positives, et non de tomber dans un état de désillusion ou de léthargie inhérentes au sentiment d’impuissance que suscite ce mouvement supra- national. Ce regroupement si vaste d’interrelations complexes à l’échelle mondiale, cette « disposition » à la fois invisible mais constituant aujourd’hui la base de toute activité humaine est aujourd’hui nécessaire à la compréhension du fonctionnement de notre société. Il convient donc d’étudier les fondements et les articulations de cette tendance, qui chemine à une vitesse effrénée et dont les conséquences néfastes semblent se succédées à un rythme effarant.
Les fondements de la mondialisation
La naissance d’une économie mondiale a débuté vers le 15e siècle, alors que les grands explorateurs, puis les marchands européens ont entrepris d’instaurer et de multiplier les échanges culturels et économiques à travers les différentes régions du monde. La Renaissance, qui s’étend du 14e au 16e siècle, annonce une ère nouvelle en Europe, caractérisée par le développement soudain du commerce et des valeurs d’individualisme, de gloire personnelle, de profit. Philippe Moreau Defarges, professeur à l’Institut d’Études politiques de Paris, perçoit la mondialisation comme une toile de liens humains, tissée d’abord par les mouvements Portugais et Espagnols.
« En « découvrant » la Terre, en la renommant ou en la nommant, les Européens non seulement créent, pour tous les hommes, un espace mondial unique, mais surtout le structurent avec leurs idées, leurs croyances. La mondialisation, c'est-à-dire le quadrillage de la Terre par des liens de toutes sortes, ne se sépare pas de la diffusion planétaire des références européennes. »[1]
Des guerres impérialistes à la colonisation de l’Afrique et de l’Amérique en passant par la diffusion du christianisme, toutes les époques sont teintées par la propension des pays européens, puis occidentaux, à dominer les échanges économiques et à diffuser leurs valeurs propres. La révolution industrielle du 19e siècle, qui a engendrée le développement des moyens de transports et de communications à l’échelle planétaire, n’a fait qu’accentuer la tendance mondialisatrice déjà à l’œuvre depuis des siècles, pour l’accélérer et lui faire prendre la courbe définitive du capitalisme. Les relations économiques internationales sont à la base du mouvement mondial actuel, donnant la mesure aux échanges culturels, politiques, environnementaux et médiatiques. Ainsi, le capitalisme qui se définit comme un « système économique et social fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange (...) et qui se caractérise par la recherche du profit, l’initiative individuelle et la concurrence entre les entreprises »[2], constitue la pierre angulaire de la mondialisation telle qu’elle est poursuivie aujourd’hui.
De la mondialisation du capitalisme à la globalisation financière
Le Petit Larousse Illustré 2005
«(…) la Mondialisation constitue la « tendance des entreprises multinationales à concevoir des stratégies à l’échelle planétaire, conduisant à la mise enplace d’un marché mondial unifié. »[3]
Aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, le capitalisme s’implante d’une manière définitive au cœur des pays industrialisés, intensifiant et accélérant le développement économique de la planète. Ainsi, après la chute de l’empire communiste Russe, en 1991, plus aucune puissance ou organisation n’est à même d’intervenir dans le développement du libre échange présidé par les États-Unis et la Grande-Bretagne dans les années 1980. Selon les auteurs et codirecteurs du Forum international de la mondialisation, Edward Goldsmith et Jerry Mander, c’est durant cette période qu’une « nouvelle mondialisation » se met en place, incitant la « transnationalisation des firmes, l’affaissement des régulations étatiques et la mainmise de la finance sur l’économie. »[4] La création d’un marché unifié et mondialisé est une conséquence inséparable du principe même de capitalisme, dont j’ai présenté ci- avant les fondements principaux. Karl Marx, le philosophe de la révolution industrielle avait vu juste en déclarant: « La tendance à créer un marché mondial est incluse dans le concept même de capital. »[5] Ainsi, le développement d’une économie capitaliste prévoit l’accroissement constant de la productivité et de la vitesse des échanges, un engrenage qui favorise l’intégration du plus grand nombre de pays, qui avec l’internationalisation de la division du travail deviennent tous liés par le rôle joué dans l’immense chaîne de production. Durant cette phase de la mondialisation, se succèderont la création d’institutions et d’accords internationaux visant la libéralisation, la déréglementation et la privatisation de la sphère sociale dans le but de favoriser l’expansion des entreprises, devenues supra étatiques et transnationales. Ce sont les premiers pas vers la globalisation, qui contrairement à la mondialisation ne se contente pas de tisser des liens entre les nations, mais tend à ne plus faire de distinction entre le public et le privé, entre le national et l’international.
D’une part, l’introduction dans le marché de produits et de services publiques (santé, éducation, information) et le démantèlement graduel des politiques sociales (normes du travail, loi environnementales, etc.) auront pour effet d’amenuiser les pouvoirs et les moyens d’action de l’État et de ses institutions, responsables du bien être collectif. Il s’ensuit, comme le mentionnent les auteurs et politicologues Edward Goldsmith et Jerry Mander, de « (…) la transformation de tous les aspects de la vie en questions économiques, sinon en marchandises ».[6] D’autre part, des institutions économiques internationales seront mises sur pieds pour faire face aux « vulnérabilités » auxquelles les États sont soumis, dans le contexte planétaire de compétitivité économique. [7] L’organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale, pour ne nommer que ceux-là, visent à abolir toute restrictions au commerce mondial et à «surveiller » les politiques gouvernementales nationales, en l’occurrence celles des pays en voie de développement. Il s’agit, tel que l’explique le professeur en économie politique à l’université d’Ottawa, Michel Chossudovsky, d’une « nouvelle forme de domination », qui constituée d’organisations financières, consiste en une sorte de « gouvernement parallèle » qui manipule les forces du marché de façon à contrôler les peuples et gouvernement.[8] Par exemple, les prêts accordés par l’OMC aux gouvernements de pays en voie de développement sont réglés par des impératifs tel que la libéralisation du commerce et des investissements étrangers, inscrits à même la charte de l’organisation. C’est au nom d’intérêts puissants (compagnies transnationales, G-7)[9] qu’œuvre ces institutions, qui visent donc principalement l’ouverture des marchés à un commerce puissamment contrôlé par ces mêmes intérêts. Les pays industrialisés et ses membres sont donc mieux représentés que les pays en voie de développement au FMI et à l’OMC, les votes étant déterminés par les contributions monétaires de ces derniers, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Japon en tête.
Paradoxalement, les Etats-Unis de Reagan et la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, qui ont été les premiers grands défenseurs du libre échange dans les années 1980, ont fait usage dans leur pays respectif d’un protectionnisme radical, visant à protéger les entreprises Américaines et Britanniques des aléas économiques. Aujourd’hui, les politiques du FMI et l’OMC sont fortement préjudiciables aux pays en voie de développement, aspirés dans une logique de commerce où les échanges avec les pays développés sont inégaux et dans laquelle le remboursement des dettes ainsi occasionnées ne peut se faire qu’en empruntant aux organisations régies par ces mêmes pays et intérêts, qui fixent leurs règles. S’ensuit donc la mondialisation de la destruction de l’environnement, de la pauvreté et des problèmes sociaux multiples, touchant des millions d’être humains.
[1] Moreau Defarges, Philippe. La mondialisation, Que sais-je, collection encyclopédique, Paris, 1997.
[2] Dictionnaire Petit Larousse Illustré, Édition 2005.
[3] Ibid.
[4] Edward Goldsmith et Jerry Mander. Le procès de la mondialisation., Éditions Fayard, Paris, 2001
[5] Karl Marx, Œuvres, t. II, Gallimard, Bibliothèque de la pléiade, Paris, 1968, p. 158. In Ibid. p. 11.
[6] Ibid
[7] Paquin, Stéphane. La revanche des petites nations, vlb Éditeur, p.74, Montréal, 2001
[8] Chossudovsky, Michel. La mondialisation de la pauvreté,Éditions Éco-société, Montréal, 1997.
[9] Le G-7 est le regroupement les pays les plus puissants du monde, qui se rencontrent sur une base régulière pour discuter des politiques économiques à suivre.