L’image
« (…) l’écran TV peut devenir une fermeture sans précédent sur le monde et une diminution de notre liberté face à lui, pour peu que nous lui remettions les pleins pouvoirs. »
Régis Debray, philosophe
L’avènement des nouvelles technologies a définitivement modifié la nature de l’information. L’apparition de la télévision, dans les années 50 a engendré un recul de l’information écrite et a favorisé l’apparition d’une nouvelle manière de communiquer, reposant dorénavant sur l’image. Cette nouvelle venue semble d’abord anodine, mais en se penchant sur sa nature et sur l’influence qu’elle propage dans le monde de l’information, un malaise survient.
Le philosophe Régis Debray parle d’un « transfert du centre de gravité de l’information de l’écrit à l’écran, du différé au direct et surtout, (…) du signe à l’image. », soulevant ainsi le caractère séducteur de l’image qui s’oppose à la rationalité, à la réflexion, à la compréhension. « Le défilement en accéléré de l’imaginaire court-circuite l’efficacité symbolique au moindre discours critique », ajoute le philosophe, révélant la dualité et l’incompatibilité fondamentales de l’image et du mot, de l’instinct et du rationnel, des sentiments et de la raison. Ainsi, selon Régis Debray, seule l’image peut arriver à discréditer l’image, face à celle-ci le mot demeure impuissant ou peu convaincant.
L’image est devenue la référence par excellence au « vrai », à la preuve de vérité. Pourtant, ce précepte comporte des risques imminents de supercherie; l’image amène la supposition que tout est montré et que rien ne peut être caché. En réalité, il s’agit d’une re- présentation du monde, d’une capture d’une portion infime d’une situation, qui se limite à un cadre précis. On nous montre ce que l’on juge important de nous montrer, mais sous quelles lois ? Intervient ici un monde de subjectivités; l’endroit en particulier qui sera filmé et le moment qui au montage sera conservé, dépendent des valeurs du journaliste et de l’orientation du poste de télévision, lui-même profondément ancré et influencé par une idéologie dominante. « Nous avons désormais les moyens technologiques de réaliser le principe dit de Berckley - philosophe anglais du XVIIe siècle – selon lequel l’essence des objets consiste en ceci qu’ils sont perçus par nous», ajoute Régis Debray. L’image d’une usine, d’un peuple, d’un homme, sera donc nécessairement teintée d’un mensonge profond, limitée par un cadre, où le hors champ n’existe pas, où tout s’explique, finalement, par une image. Or le monde est infiniment plus complexe et ne peut être entièrement compris, mais surtout analysé par un cadre visuel, qui relève plus de l’émotion que de la réflexion. Finalement, l’image peut être une forme de propagande, dans laquelle ce que l’on donne à voir et à penser devient vérité, et où un seul point de vue domine. Dans le contexte social actuel où la tendance est au rétrécissement des discours et de la pluralité d’opinion, et où le contexte de mondialisation d’un idéal capitaliste chemine vers son apogée, l’image représente un instrument de somnolence sociale, de laisser-faire politique inquiétant et, finalement, de désinformation.
Source: Texte de Régis Debray paru dans le livre Les mensonges du Golfe, publié par Reporters Sans Frontières.
Elise Prioleau